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Fugues
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12 janvier 2015

E.T. visite la cathédrale

Un extraterrestre qui ignore tout de notre mode de vie et de notre culture vient en délégation dans une ville.

Depuis le début de son mandat de Maire, Élise en avait reçu quelques-unes, de ces délégations d’étrangers venues visiter sa ville inscrite depuis peu au patrimoine mondial de l’UNESCO, mais des étrangers comme celui-ci, qui s’étonnait à la vue d’une pince à sucre ou d’un taille-crayon, elle n’en avait jamais vu… Elle soupira. Depuis qu’ils étaient entrés dans la Cathédrale, ils allaient de catastrophe en catastrophe. Comment lui expliquer tout cela clairement ?

Il pouvait à la rigueur concevoir un esprit créateur de l’univers, mais que cet esprit intervienne dans la vie des terriens, qu’il récompense, punisse, ou accorde son aide, cela le dépassait. Et ce n’était rien comparé à l’horreur qu’il avait exprimée à la vue des sculptures monumentales montrant la crucifixion ou la descente de la croix, sans parler des petits tableaux du Chemin de Croix, détaillant les postures tantôt souffrantes, tantôt violentes des différents personnages représentés... L’historien de la délégation municipale avait beau essayer de ramener la conversation sur la beauté artistique des œuvres, rien n’y faisait : là où tout le monde voyait une magnifique interprétation du fils de Dieu souffrant par amour de l’humanité, l’Étranger ne voyait qu’un homme abominablement supplicié, dont on exposait les souffrances avec complaisance, voire avec un certain masochisme.

- Qui est cet homme, qu’a-t-il fait pour qu’on le traite ainsi ?"

- Il s’agit de Jésus Christ. Les chrétiens, adeptes de cette religion, croient que c’est le fils de Dieu et qu’il est mort crucifié pour racheter nos péchés, répondit l’historien.

- Que sont les péchés ?

- Tous nos actes répréhensibles, nos crimes, nos mauvaises pensées

- J’ai du mal à comprendre cette idée de rachat. Et un esprit peut-il avoir un fils ? Comme c’est étrange ! Et Dieu aurait laissé les hommes tuer son fils ? D’ailleurs, un Dieu peut-il mourir ? Comment peut-on croire des choses pareilles ?

- Il s’agit d’une mort symbolique, il serait ressuscité ensuite. Et ce serait par amour pour les hommes qu’il aurait accepté de souffrir et de mourir.

- Souffrir, mourir par amour… Quelle religion cruelle ! Ce visage sanglant couronné d’épines est vraiment morbide. Et quelle violence dans ces tableaux ! Ces soldats avec leurs fouets… L’homme qui le transperce de sa lance… Est-ce là ce que ces chrétiens montrent et enseignent à leurs enfants ?

Elise émit un petit « oui » étranglé, tandis que l’historien hochait la tête en hésitant, partagé entre un « oui » et un « non ». C’est vrai que vu comme ça… Elle était totalement décontenancée par les commentaires de cet être venu d’ailleurs, de même que les membres de la délégation municipale, qui se regardaient tous avec une expression perplexe ou gênée...

Poursuivant leur visite, ils passèrent devant plusieurs gisants sur leurs sépulcres et autres reliquaires, en expliquant à l’Étranger, qui cachait avec peine son écœurement, qu’il s’agissait là de restes d’hommes ou de saints qu’on révérait particulièrement. Il déclara que chez lui, tout être décédé, qu’il soit révéré ou non, était brûlé et ses cendres dispersées pour retourner symboliquement à la nature et à la vie. Élise s’empressa de préciser que cette pratique de l’incinération se généralisait de plus en plus dans la culture des terriens. L’historien poursuivit son exposé sur l’harmonie des corps, la finesse des expressions, la composition des couleurs et Élise, qui ne l’écoutait qu’à moitié, se souvint tout à coup que, dans le petit oratoire où ils arrivaient maintenant, se trouvaient les deux statues de St Ferréol et Ferjeux, tenant chacun leur tête coupée entre leurs bras. Elle tenta une manœuvre pour pousser le groupe dans une autre direction, espérant ainsi éviter d’autres questions embarrassantes, mais c’était trop tard et le cri de saisissement qu’elle entendit la paralysa sur place.

- Mais qu’est-ce que ceci ?

- Ce sont deux saints hommes qui ont été décapités, dit-elle en soupirant à part elle.

- Quelle atrocité, l’exposition de ces têtes coupées ! Pourquoi ont-ils été tués ?

- Parce qu’ils troublaient l’ordre public en prêchant leur religion répondit l’historien.

- C’était il y a longtemps, ajouta Élise. Maintenant, plus personne n’est tué parce qu’il pratique une religion qui n’est pas la religion officielle…

A peine avait-elle dit ces mots qu’elle les regretta. Pouvait-on vraiment dire qu’aujourd’hui, plus personne ne tuait pour des raisons de foi religieuse ?

- Ne m’avez-vous pas dit que certains groupes tuent des gens parce qu’ils ont des croyances différentes, vous les appelez des « terroristes » je crois ?

Allons bon... Son visage s'allongea.

- Oui, mais les chefs de ces groupes ne sont pas de véritables croyants, ils détournent les paroles de leur Dieu pour servir leur soif de pouvoir, précisa-t-elle.

Elle était en sueur, proche du malaise. Jamais elle n’avait vécu une situation aussi pénible. Pourquoi donc avait-elle proposé à l’Étranger la visite de la Cathédrale ? Si elle avait su...

Enfin, ils arrivaient dans le chœur de l’Église. Derrière le Tabernacle on voyait un très beau tableau représentant la Cène. Élise se redressa, rassérénée. Cette fois, pas de monstruosités à expliquer… Enfin, elle allait pouvoir lui montrer la profonde signification spirituelle et humaine de cette religion qui était la sienne. Elle se lança :

- La communauté religieuse se réunit au moins une fois par semaine derrière le prêtre qui officie à cet endroit pour prier, chanter et glorifier Dieu. Ensuite, le prêtre donne la communion aux fidèles.

- Qu’est-ce que la communion ?

- C’est une cérémonie célébrant le dernier repas de Jésus avec ses apôtres représenté sur le tableau derrière le Tabernacle. Au cours de cette cérémonie, le pain et le vin symbolisant le corps et le sang du fils de Dieu sont offerts aux membres de la communauté sous la forme d’une hostie. Le prêtre la partage, et tous ceux qui le souhaitent peuvent en manger un morceau. Ainsi, ils communient ensemble et avec Dieu par le corps et par l’esprit.

Et l’étranger s’écria alors avec un dégoût mêlé de terreur : « Quoi ! Vous mangez votre Dieu ! »

Françoise Verdenne - Besançon, septembre 2014

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