La contrebande de la fée verte

Prohibée en Suisse le 7 avril 1908, la fabrication de l'absinthe fut interdite en France le 16 mars 1915. Privés de leur drogue, les amateurs de la fée verte eurent recours à la fabrication illicite et à la contrebande de ce produit de part et d'autre de la frontière. Des distilleries artisanales se mirent donc à fonctionner dans les montagnes jurassiennes, côtés suisse et français...

A Couvet (Suisse), le 11 octobre 1981, une forte déflagration souffla les vitres d'une maison située dans le vieux quartier de Saint-Gervais. Alertés par les voisins, les pompiers se rendirent sur les lieux et constatèrent avec surprise que le sinistre avait été provoqué par l'explosion d'un alambic artisanal alimenté par un réchaud à gaz. Une brave grand-mère avait tout simplement risqué de faire sauter sa maison en fabriquant, selon les procédés traditionnels, sa provision annuelle d'absinthe !

Des passeurs transportaient l'absinthe de part et d'autre de la frontière, en faisant preuve comme toujours d'une grande ingéniosité pour tromper la vigilance des gabelous (douaniers) : on enfouissait les bombonnes sous des piles de bois, dans les soues à cochons, dans les fosses à purin... Un contrebandier passait la douane en bicyclette, puis allait au café du village où, grâce à un petit robinet situé sous le carter de son vélo, il vidangeait les tubes de son cadre et libérait ainsi trois litres d'alcool récupéré par le débitant de boissons. Un autre passait tous les ans devant les gabelous avec une vingtaine de ruches dont les tiroirs truqués contenaient des bouteilles. Il fut découvert à la suite d'une dénonciation, car jamais les gabelous n’auraient eu l'idée de mettre leurs mains dans les petites caisses peuplées d'abeilles. Certains remplissaient de grosses vessies de boeuf que des femmes attachait sur leurs ventres, faisant croire qu'elles étaient enceintes...

Un jour, une dizaine de contrebandiers, chargés chacun d'un fût d'absinthe,arrivant à proximité de la frontière, envoyèrent devant un éclaireur chargé, lui, d'un fût vide. Lorsqu'il vit la patrouille de douaniers, l'éclaireur fit semblant d'être surpris et jeta son tonneau vide dans le ravin qui bordait la route. Pendant que les douaniers dévalaient le ravin afin de récupérer la pièce à conviction pour dresser leur constat, les autres contrebandiers réussirent tous à passer sans encombre leurs tonneaux pleins de l'autre côté de la frontière.