La fée verte

Les anciens utilisaient l'absinthe (une armoise qu'ils nommaient "herbe sainte") en infusion pour favoriser les cycles menstruels des femmes, et comme la déesse Artémise était réputée protéger les femmes, cette plante lui était dédiée, d'où son nom scientifique de "Artemisia absinthium".

A la fin du 18ème siècle, Mademoiselle Henriot, herboriste à Couvet en Suisse Romande, inventa un breuvage à base d'absinthe. Plusieurs distilleries de la région utilisèrent sa recette et en 1805, la famille Pernod installa sa distillerie à Pontarlier, en France. Le breuvage connut alors un grand succès dans notre pays et de là, s'exporta partout à l'étranger. Mais très vite, l'abus de cette boisson conduisit les consommateurs à la déchéance, à la folie, parfois au meurtre.

Prohibée en Suisse le 7 avril 1908, la fabrication de l'absinthe devint également interdite en France le 16 mars 1915.

Les amateurs de "la fée verte" eurent alors recours à des fabrications illicites. Des distilleries artisanales se mirent à fonctionner dans les montagnes jurassiennes, côtés suisse et français. Des passeurs transportèrent le produit en faisant preuve comme toujours d'une grande ingéniosité pour tromper la vigilance des douaniers : on enfouissait les bombonnes sous des piles de bois, dans les soues à cochons, dans les fosses à purin... Un contrebandier passait la douane en bicyclette, puis allait dans un café du village voisin où, grâce à un petit robinet situé sous le carter de sa machine, il vidangeait les tubes de son cadre et libérait ainsi plusieurs litres d'alcool récupéré par le débitant de boissons.  Un autre passait tous les ans devant les douaniers avec une vingtaine de ruches dont les tiroirs truqués contenaient des bouteilles. Il fut découvert à la suite d'une dénonciation, car jamais les douaniers n'aurait eu l'idée de passer leurs mains dans les petites caisses peuplées d'abeilles. Certains remplissaient de grosses vessies de boeuf que des femmes attachait sur leurs ventres, comme si elles étaient enceintes...

Un jour, une dizaine de contrebandiers, chargés chacun d'un fût d'absinthe, arrivant en vue de la frontière, firent partir un éclaireur chargé, lui, d'un fût vide. Il fut surpris par une patrouille. Après de longues palabres et protestations celui-ci jeta son tonneau qui roula au fond du ravin. Pendant que les douaniers étaient occupés à chercher cette pièce à conviction faisant l'objet du délit afin de dresser le constat, les autres contrebandiers réussirent à passer sans encombre les tonneaux de l'autre côté de la frontière.

A Couvet, en Suisse, le 11 octobre 1981, une forte déflagration souffla les vitres d'une maison située dans le vieux quartier de Saint-Gervais. Alertés par les voisins, les pompiers se rendirent sur les lieux et constatèrent avec surprise que le sinistre avait été provoqué par l'explosion d'un alambic artisanal alimenté par un réchaud à gaz. Une brave grand-mère avait tout simplement risqué de faire sauter sa maison en fabriquant selon les procédés traditionnels, sa provision annuelle d'absinthe !